Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’escouade des trésors légendairement enviés par tous : par exemple, le bidon de deux litres détenu par Barque et qu’un talentueux coup de fusil à blanc a dilaté jusqu’à la contenance de deux litres et demi ; le célèbre grand couteau à manche de corne de Bertrand.

Dans le fourmillement tumultueux, des regards de côté effleurent ces objets de musée, puis chacun se remet à regarder devant soi, chacun se consacre à sa « camelote » et s’acharne à la mettre en ordre.

Triste camelote, en effet. Tout ce qui est fabriqué pour le soldat est commun, laid, et de mauvaise qualité, depuis leurs souliers en carton découpé, aux pièces attachées ensemble par des grillages de méchant fil, jusqu’à leurs vêtements mal taillés, mal bâtis, mal cousus, mal teints, en drap cassant et transparent — du papier buvard — qu’un jour de soleil fait passer, qu’une heure de pluie transperce, jusqu’à leurs cuirs amincis à l’extrême, friables comme des copeaux et que déchirent les tenons, leur linge de flanelle plus maigre que du coton, leur tabac qui ressemble à de la paille.

Marthereau est à côté de moi. Il me désigne les camarades :

— R’garde-les, ces pauv’ vieux qui ar’rgardent leur capharnion. Tu croirais une flopée d’mères zyeutant leurs p’tits. Coute-les. I’s appellent leurs trucs. Tiens, çui-là, dès lors qu’i’ dit : « Mon couteau ! » C’est kif comme s’i’ disait : « Léon, ou Charles, ou Dolphe. » Et, tu sais, impossible pour eux de diminuer son chargement. C’est pas vrai. C’est pas qu’i’ veul’tent pas – vu que l’métier c’est pas ça qui vous renfortifie, pas ? – C’est qu’i’s peuv’tent pas. Ils ont trop d’amour pour.

Le chargement ! Il est formidable, et on sait bien, parbleu, que chaque objet le rend un peu plus méchant, que chaque petite chose est une meurtrissure de plus.

Car il n’y a pas que ce qu’on fourre dans ses poches et