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— Moi, dit Tirloir, un tit sifflet qu’ma femme m’a envoyé en m’disant comme ça : « Si t’es blessé dans la bataille, tu siffleras pour que les camarades viennent t’sauver la vie. »

On rit de la phrase naïve.

Tulacque intervient, indulgent, et dit à Tirloir :

— Ça sait pas c’que c’est qu’la guerre, à l’arrière. Si tu voulais parler de l’arrière, c’est toi qui en dirais des conneries !

— Ne la comptons pas, elle est trop petite, dit Salavert. Ça fait dix.

— Dans la veste, quatre. Ça ne fait toujours que quatorze.

— Y a les deux poches à cartouches : ces deux poches nouvelles qui tiennent avec des sangles.

— Seize, dit Salavert.

— Tiens, enfant de malheur, tête de pied, rechasse ma veste. Ces deux poches-là, tu les as pas comptées ! Eh bien alors, qu’est-ce qu’i’ t’faut ! C’est pourtant les poches à la place ordinaire. C’est les poches civiles où c’que tu fourres, dans l’civil, ton tire-jus, ton tabac et l’adresse où tu vas livrer.

— Dix-huit ! fait Salavert, grave comme un fonctionnaire. Y en a dix-huit, pas d’erreur, adjugé.

À ce moment de la conversation, quelqu’un fait sur les pavés du seuil une série de faux pas sonores, tel un cheval qui piafferait – et blasphémerait.

Puis après un silence, une voix bien timbrée glapit avec autorité :

— Eh, là-dedans, on s’prépare ? Il faut que tout soye prêt à c’soir, et, vous savez, des paxons bien solides. On va en première ligne, cette fois, et même, ça va p’t’êt’ chauffer.

— Ça va, ça va, mon adjudant, répondent distraitement des voix.

— Comment ça s’écrit, Arnesse ? demande Benech qui, à quatre pattes, travaille par terre une enveloppe avec un crayon.