Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grange où l’on gîte. La bise glaciale tache et placarde la peau de sa longue face creuse et basanée, tire des larmes de ses yeux et les éparpille sur ses joues grillées jadis par le mistral ; et son nez aussi pleure et pleuvote.

Vaincu par la morsure continue du vent qui l’attrape aux oreilles, malgré son cache-nez noué autour de sa tête, et aux mollets malgré les bandes jaunes dont ses jambes de coq sont écaillées, il rentre dans la grange, mais il en ressort aussitôt, en roulant des yeux féroces et en murmurant : « Pute de moine ! » et : « Voleur ! » avec l’accent qui éclôt aux gosiers à mille kilomètres d’ici, dans le coin de terre d’où la guerre l’exila.

Et il reste debout, dehors, dépaysé plus qu’il ne le fut jamais dans ce décor septentrional. Et le vent vient, se glisse en lui, et revient, avec de brusques mouvements, secouer et malmener ses formes décharnées et légères d’épouvantail.

C’est qu’elle est quasi inhabitable – coquine de Dious ! – la grange qu’on nous a assignée pour vivre pendant cette période de repos. Cet asile s’enfonce, ténébreux, suintant et étroit comme un puits. Toute une moitié en est inondée – on y voit surnager des rats – et les hommes sont massés dans l’autre moitié. Les murs, faits de lattes agglutinées par de la boue séchée, sont cassés, fendus, percés, sur tout le pourtour, et largement troués dans le haut. On a bouché tant bien que mal, la nuit où l’on est arrivé – jusqu’au matin – les lézardes qui sont à portée de la main, en y fourrant des branches feuillues et des claies. Mais les ouvertures du haut et du toit sont toujours béantes. Alors qu’un faible jour impuissant y demeure suspendu, le vent, au contraire, s’y engouffre, s’y aspire de tous côtés, de toute sa force, et l’escouade subit la poussée d’un éternel courant d’air.

Et quand on est là, on demeure planté debout, dans cette pénombre bouleversée, à tâtonner, à grelotter et à geindre.