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II

DANS LA TERRE


Le grand ciel pâle se peuple de coups de tonnerre : chaque explosion montre à la fois, tombant d’un éclair roux, une colonne de feu dans le reste de nuit et une colonne de nuée dans ce qu’il y a déjà de jour.

Là-haut, très haut, très loin, un vol d’oiseaux terribles, à l’haleine puissante et saccadée, qu’on entend sans les voir, monte en cercle pour regarder la terre.

La terre ! Le désert commence à apparaître, immense et plein d’eau, sous la longue désolation de l’aube. Des mares, des entonnoirs, dont la bise aiguë de l’extrême matin pince et fait frissonner l’eau ; des pistes tracées par les troupes et les convois nocturnes dans ces champs de stérilité et qui sont striées d’ornières luisant comme des rails d’acier dans la clarté pauvre ; des amas de boue où se dressent çà et là quelques piquets cassés, des chevalets en X, disloqués, des paquets de fil de fer roulés, tortillés, en buissons. Avec ses bancs de vase et ses flaques, on dirait une toile grise démesurée qui flotte sur la mer, immergée par endroits. Il ne pleut pas, mais tout est mouillé, suintant, lavé, naufragé, et la lumière blafarde a l’air de couler.

On distingue de longs fossés en lacis où le résidu de