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— Alors quoi ? demanda Lamuse.

— Alors, rien du tout, répondit Eudore. On est resté comme ça, bien sagement – toute la nuit. Assis, calés dans des coins, à bâiller, comme ceux qui veillent un mort. On a parloché un peu d’abord. De temps en temps, l’un disait : « Est-ce qu’il pleut encore ? » et allait voir, et disait : « I’ pleut. » Du reste, on l’entendait. Un gros, qui avait des moustaches de Bulgare, luttait contre le sommeil comme un sauvage. Quelquefois, un ou deux dormaient dans le tas ; mais il y en avait toujours un qui bâillait et ouvrait un œil, par politesse, et s’étirait ou se levait à moitié pour se rasseoir mieux.

» Mariette et moi, on n’a pas dormi. On s’est regardé, mais on regardait aussi les autres, qui nous regardaient, et voilà.

» Le matin est venu débarbouiller la fenêtre. Je me suis levé pour aller voir le temps. La pluie n’avait guère diminué. Dans la chambre, je voyais des formes brunes qui bougeaient, respiraient fort. Mariette avait les yeux rouges de m’avoir regardé toute la nuit. Entre elle et moi, un poilu, en grelottant, bourrait une pipe.

» On tambourine à la vitre. J’entrouvre. Une silhouette au casque tout ruisselant, comme apportée et poussée là par le vent terrible qui souffle et qui entre avec, apparaît et demande :

» – Eh ! l’estaminet, y a-t-il moyen d’avoir du café ?

» – On y va, monsieur, on y va ! » crie Mariette.

» Elle se lève de d’ssus sa chaise, un peu engourdie. Elle ne parle point, se regarde dans notre bout de glace, se touche un peu les cheveux et elle dit, tout bonnement, c’te femme :

» – J’vais préparer le café pour tout le monde.

» Quand on l’a bu, fallait s’en aller tous. Du reste, les clients radinaient chaque minute.

» – Hé, la p’tite mère ! qu’i’ criaient en introduisant leur bec par la fenêtre entrouverte, vous avez ben un