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langées font le bruit de la mer qui se brise sur le rivage ; et, surmontant ce murmure sans limites, des ordres encore, des cris, des clameurs, le remue-ménage de quelque déballage et de quelque transbordement, des fracas de marteaux-pilons redoublant leur sourd effort parmi les ombres, et des rugissements de chaudières.

Dans l’immense assombrissement, plein d’hommes et de choses, partout, les lumières commencent à s’allumer.

Ce sont les lampes électriques des officiers et des chefs de détachement, et les lanternes à acétylène des cyclistes qui promènent en zigzag, çà et là, leur point intensément blanc et leur zone de résurrection blafarde.

Un phare à acétylène éclôt, aveuglant, et répand un dôme de jour. D’autres phares trouent et déchirent le gris du monde.

La gare prend alors un aspect fantastique. Des formes incompréhensibles surgissent et plaquent le bleu noir du ciel. Des amoncellements s’ébauchent, vastes comme les ruines d’une ville. On perçoit le commencement de files démesurées de choses qui s’enfoncent dans la nuit. On devine des masses profondes dont les premiers reliefs jaillissent d’un gouffre d’inconnu.

À notre gauche, des détachements de cavaliers et de fantassins s’avancent toujours comme une inondation épaisse. On entend se propager le brouillard des voix. On voit quelques rangs se dessiner dans un coup de lumière phosphorescente ou une lueur rouge, et on prête l’oreille à de longues traînées de rumeurs.

Dans des fourgons dont on perçoit, à la flamme tournoyante et nuageuse des torches, les masses grises et les gueules noires, des tringlots embarquent des chevaux à l’aide de plans inclinés. Ce sont des appels, des exclamations, un piétinement frénétique de lutte, et les furibonds tapements de sabots d’une bête rétive – insultée par son conducteur – contre les panneaux du fourgon où on l’a claustrée.

À côté, on transporte des voitures sur des wagons-