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temps que les troupes, affluaient des automobiles. Ce fut bientôt un grondement sans arrêt : des limousines, au milieu d’une gigantesque marée de petits, de moyens et de gros camions. Tout cela se rangeait, se calait, se tassait dans des emplacements désignés. Un vaste murmure de voix et de bruits divers sortait de cet océan d’êtres et de voitures qui battait les abords de la gare et commençait à s’y infiltrer par endroits.

— C’est rien ça encore, dit Cocon, l’homme-statistique. Rien qu’à l’ État-Major du Corps d’Armée, il y a trente autos d’officier, et tu sais pas, ajouta-t-il, combien i’ faudra de trains de cinquante wagons pour embarquer tout le Corps – bonhommes et camelote – sauf, bien entendu, les camions, qui rejoindront le nouveau secteur avec leurs pattes ? N’cherche pas, bec d’amour. Il en faudra quatre-vingt-dix.

— Ah ! zut alors ! Et y en a trente-trois, d’Corps !

— Y en a même trente-neuf, pouilleux !

L’agitation augmente. La gare se peuple et se sur-peuple. Aussi loin que l’œil peut discerner une forme ou un spectre de forme, c’est un tohu-bohu et une organisation mouvementée comme une panique. Toute la hiérarchie des gradés s’éploie et donne, passe, repasse, comme des météores, et, agitant des bras où brillent les galons, multiplie les ordres et les contre-ordres que portent, en se faufilant, les plantons et les cyclistes ; les uns lents, les autres évoluant en traits rapides comme des poissons dans l’eau.

Voilà le soir, décidément. Les taches formées par les uniformes des poilus groupés autour des monticules des faisceaux deviennent indistinctes et se mêlent à la terre, puis leur foule est décelée seulement par la lueur des pipes et des cigarettes. À certains endroits au bord des groupements, la suite ininterrompue des petits points clairs festonne l’obscurité comme une banderole illuminée de rue en fête.

Sur cette étendue confuse et houleuse, les voix mé-