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doucement (je fus seul à le voir) avec une légère crispation de malaise, presque de dégoût : il avait été effleuré d’une haleine altérée par tous les baisers enfermés tout à l’heure dans cette bouche comme dans un cercueil.

Elle profère maintenant seulement, avec sa pauvre bouche, la réponse à ce qu’il avait dit avant la possession :

— Non, tu ne m’aimeras pas toujours. Tu me quitteras. Mais malgré cela, je ne regrette rien et ne regretterai rien, moi. Lorsque, après « nous », je retournerai à la grande tristesse qui ne me lâchera plus, cette fois je me dirai : « J’ai eu un amant ! » et je sortirai de mon néant pour être heureuse un instant.

Il ne veut plus, ne peut plus guère répondre. Il balbutie :

— Pourquoi doutes-tu de moi…

Mais ils tournent leurs yeux vers la fenêtre. Ils ont peur, ils ont froid. Ils regardent, là-bas, au creux de deux maisons, un vague reste de crépuscule s’enfuir comme un vaisseau de gloire.

Il me semble que la fenêtre, à côté d’eux, entre en scène. Ils la contemplent, blafarde, immense, dissipant tout autour d’elle. Et après l’écœurante tension charnelle et l’immonde brièveté du plaisir, ils demeurent écrasés comme sous une apparition, devant l’azur sans tache et la lumière qui ne saigne pas. Puis leurs regards retombent l’un vers l’autre.

— Vois, nous restons là, dit-elle, à nous regarder comme deux pauvres chiens que nous sommes.