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la borne, sans pensée, l’enfant dans les bras, elle vint ; il faut qu’elle ait un cœur divin pour pouvoir être si lassée. Elle est là, rien ne la défend, mais elle sourit la première : elle aime le ciel, la lumière qu’aimera l’indistinct enfant, elle aime la frileuse aurore, le midi lourd, le soir rêveur : il grandira, confus sauveur, pour que tout cela vive encore ; lui qui fut sombre et qui trembla au fond de la route gravie, il recommencera la vie, le seul paradis qui soit là, et le bouquet de la nature ; il rendra belle la beauté, il refera l’éternité avec son chant et son murmure. Et serrant l’enfant nouveau-né dans le soir qui dore ses hardes, les yeux vermeils, elle regarde tout le soleil qu’elle a donné… Ses bras tremblent comme des ailes, elle rêve en mots caressants, elle éblouirait les passants, s’ils détournaient les yeux vers elle ; et le couchant baigne son cou et sa tête d’un reflet rose : elle est comme une grande rose qui s’ouvre, se penche vers tout…

Mon attention retrouve les rimes comme la tendresse retrouve dans l’ombre la tendresse. Le rythme ! J’en subissais profondément la domination et l’empreinte. J’en avais déjà été troublé l’autre soir tandis qu’il arrachait de sa mémoire, à l’appui de son effort consolateur, des fragments de son poème : les mots travaillés, brillant brusquement dans l’ombre comme des diamants ; mais ceci, par un pressentiment, me semblait plus important.

Il se balançait un peu, pris tout entier par la musique invincible, y obéissant aussi complètement qu’au tremblement régulier de son cœur, et