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n’avait rien dit, supplie à nouveau, plus fort. Il est là, incertain, trébuchant entre la nuit et le jour ; elle n’aurait qu’un mot à dire, pourvu qu’il le crût. On le voit, dans l’immense ville, cramponné à ce seul corps.

Quelques instants après, je suis séparé de ces deux amants qui pensent, de ces deux amants qui se regardent et qui se persécutent.

De toutes parts, l’homme et la femme apparaissent et se dressent l’un contre l’autre : l’homme qui aime cent fois, la femme qui a la force de tant aimer et de tant oublier.

Je me mets en route. Je vais et viens au milieu d’une réalité nue. Je ne suis pas l’homme des choses étranges et des exceptions. Désireur, crieur, appeleur, je me reconnais partout. Je reconstitue avec tout le monde la vérité épelée dans la chambre surprise, la vérité qui est ceci : « Je suis seul, et je voudrais ce que je n’ai pas et ce que je n’ai plus. » C’est de ce besoin qu’on vit, et qu’on meurt.

Je passe près de boutiques basses. J’entends crier, hurler : « Oui ! non ! » Je m’arrête, étonné de la puissance de cet accent. Je distingue, dans une cage, un peu d’ombre agitée. C’est un perroquet, et le cri entendu n’est qu’un grand bruit aveugle, le son émis par une chose…

Mais parce qu’il est en dehors de l’humanité, tout en ayant forme humaine, il me remet dans l’esprit l’importance du cri des hommes. Jamais je n’ai pensé avec tant de force à tout ce que peut contenir l’affirmation ou la négation qui sort d’une bouche pensante : le don ou le refus de l’être humain