Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous deux l’un en face de l’autre, chacun d’un côté de la table.

Je savais que, dans l’après-midi, leur mariage avait eu lieu. Ils avaient accompli cette union qui n’était que plus de solennité pour l’adieu prochain. Quelques corolles blanches : des lys et des azalées jonchaient la table, la cheminée, un fauteuil ; et lui était aussi mourant que ces têtes de fleurs coupées.

— Nous sommes mariés, dit-il. Vous êtes ma femme. Vous êtes ma femme, Anna !

C’était pour la douceur nuptiale de prononcer ces mots qu’il avait tant espéré. Rien de plus… mais il se sentait si pauvre, avec ses rares jours, que c’était tout le bonheur.

Il la regarda, et elle leva ses yeux sur lui, — lui qui adorait sa tendresse fraternelle, elle qui s’était attachée à son adoration. Quel infini d’émotion dans ces deux silences qui se confrontaient avec un certain enlacement ; dans le double silence de ces deux êtres qui, je l’avais remarqué, ne se touchaient jamais, même du bout des doigts…

La jeune fille se redressa et dit, d’une voix mal assurée :

— Il est tard. Je vais dormir.

Elle se leva. La lampe, qu’elle posa sur la cheminée, éclaira la pièce.

Elle palpitait toute. Elle semblait au milieu d’un rêve, et ne pas savoir comment obéir à ce rêve.

Debout, elle éleva le bras et retira les peignes de ses cheveux ; on vit ruisseler sa chevelure qui,