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— La nature !

Le vieux eut un ricanement qui me glaça :

— La nature est maudite, la nature est mauvaise. La maladie, c’est aussi la nature. Puisque l’anormal est fatal, n’est-ce pas comme s’il était le normal ?

Il ajouta pourtant, attendri à cause de sa défaite :

— « La nature fait bien ce qu’elle fait. » Ah ! c’est là, au fond, une parole de malheureux, dont on ne peut pas en vouloir aux hommes. Ils espèrent s’éblouir et se consoler par le sentiment d’une règle et d’une fatalité. C’est parce que ce n’est pas vrai qu’ils le crient.

Comme au commencement, ils se regardèrent. L’un d’eux dit :

— Nous sommes deux pauvres gens.

— Naturellement, dit l’autre avec douceur.

Ils se dirigèrent vers la porte.

— Allons-nous en d’ici. Elle nous attend. Portons-lui la condamnation irrémissible. Non seulement la mort, mais la mort immédiate. C’est comme deux condamnations.

Le vieux médecin ajouta entre ses dents :

— « Condamné par la science », quelle expression stupide !

— Ceux qui croient en Dieu devraient bien faire remonter la responsabilité plus haut.

Ils s’arrêtèrent près du seuil, au mot de Dieu. De nouveau, leur voix tomba, fut à peine perceptible, frémissante et acharnée.

— Celui-là, cria tout bas le vieillard, il est fou, il est fou !