qu’il existera, la guerre horrible et l’épuisement du monde ; que ni le travail, ni la prospérité matérielle et morale, ni les nobles délicatesses du progrès, ni les prodiges de l’art n’ont besoin d’émulation haineuse — et que tout cela, au contraire, est écrasé par les armes. Je sais que la carte d’un pays est faite de lignes conventionnelles et de noms disparates, que l’amour inné de soi nous conduit plus près de l’homme même que de ceux qui font partie d’un même groupe géographique ; que l’on est plus compatriote de ceux qui vous comprennent et vous aiment, et sont au niveau de votre âme, ou de ceux qui pâtissent du même esclavage — que de ceux qu’on rencontre dans la rue… Les groupements nationaux, unités de l’univers moderne, sont ce qu’ils sont, soit. Par la déformation grandissante, monstrueuse, du sentiment patriotique, l’humanité se tue, l’humanité se meurt, et l’époque contemporaine est une agonie.
Ils eurent la même vision et dirent à la fois :
— C’est un cancer, c’est un cancer.
Le maître s’anima, en proie à l’évidence :
— Tout autant que vous, je sais que la postérité jugera sévèrement ceux qui ont cultivé et ont répandu le fétichisme des idées d’oppression. Je sais que la guérison d’un abus n’est commencée que lorsqu’on se refuse au culte qui le consacre… Et moi qui me suis penché durant un demi-siècle sur toutes les grandes découvertes qui ont changé la face des choses, je sais qu’on a contre soi l’hostilité de tout ce qui existe, lorsqu’on commence !
« Je sais que c’est un vice de passer des années