— Pourquoi, pourquoi ! dit le jeune médecin dont le trouble grandissait. Pourquoi restons-nous fous puisque nous voyons notre folie ?
Le vieux praticien haussa les épaules — le geste qu’il avait eu quelques instants auparavant lorsqu’il s’était agi de maladie incurable.
— La force de la tradition, attisée par les intéressés… Nous ne sommes pas libres, nous sommes attachés au passé. Nous écoutons ce qui a été fait toujours, nous le refaisons ; et c’est la guerre et l’injustice. Peut-être l’humanité arrivera-t-elle à se débarrasser, quelque jour, de la hantise de ce qu’elle fut. Espérons que nous sortirons enfin de l’immense époque de massacre et de misère. Que pouvons-nous de plus que l’espérer ?
Le vieillard s’arrêta là. Le jeune dit :
— Le vouloir.
L’autre eut un mouvement quelconque de la main.
Le jeune homme s’écria :
— À l’ulcère du monde, il y a une grande cause générale. Vous l’avez nommée : c’est l’asservissement au passé, le préjugé séculaire, qui empêche de tout refaire proprement, selon la raison et la morale. L’esprit de tradition infecte l’humanité ; et le nom des deux manifestations affreuses, c’est…
Le vieillard se souleva sur sa chaise, ébauchant déjà un geste de protestation, comme s’il voulait lui signifier : « Ne le dites pas ! »
Mais le jeune homme ne pouvait pas s’empêcher de parler :
— C’est la propriété et la patrie, dit-il.