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ce n’est rien. Rien, rien… Elle cherche en vain à lutter contre ce mot.

« Il lui reproche d’être en contradiction avec elle-même en réclamant à la fois le bonheur terrestre et le bonheur céleste ; elle lui répond, du fond d’elle-même, que ce qui est contradictoire, ce n’est pas elle, ce sont les choses qu’elle veut.

« Alors, il saisit encore une autre branche de salut, et avec une avidité désespérée, il explique, il hurle : On ne peut pas savoir ! Comment le pourrait-on ! Quelle folie, quel sacrilège, de le tenter ! Il s’agit d’un ordre de choses tellement différent de celui que nous concevons ! Le bonheur divin n’a pas la même forme que le bonheur humain. « Le divin bonheur est hors de nous. »

« Elle s’est dressée frémissante :

« Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Non, mon bonheur n’est pas en dehors de moi-même, puisque c’est mon bonheur… » « L’univers est l’univers de Dieu, mais mon bonheur, c’est moi qui en suis Dieu. » « Ce que je veux, ajoute-t-elle avec une simplicité définitive, c’est d’être heureuse, moi, telle que je suis et telle que je souffre. »

Aimée avait tressailli : elle pensait sans doute à ce qu’elle avait dit tout à l’heure : « une réponse qui me regarde personnellement, telle que je suis ici », et elle ressemblait plus à cette femme qu’à elle-même…

— Moi telle que je souffre, répéta l’homme.

« Importante parole ! Elle nous mène distinctement devant cette grande loi : Le bonheur n’est pas un objet, ni une expression de calcul ; il