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nous étions là, nous n’avions rien qui nous unit, et proches et tremblants sous les astres qui trônent, les doigts mêlés, nous n’étions rien que deux aumônes. »

— Ah ! dit Aimée, tu avoues cela dans ton poème ! Tu ne devrais pas… C’est trop vrai.

— … Puis, venait le moment du baiser et de l’étreinte. Mais les corps ne se pénètrent pas plus que les mains, malgré les hardiesses de la pensée, et ce n’était pas de l’union, mais deux délires l’un sur l’autre.

— Je sais, dit Aimée en frissonnant d’une double honte dans toute sa personne.

— Et aux heures de désespoir, la douleur ne faisait qu’agrandir leurs deux isolements : « Enfouis dans nos corps comme dans nos linceuls, nos yeux mêlaient leurs pleurs, nos cœurs pleuraient tout seuls ; je te voyais, fragile, infinie et profonde ; tu pleurais… j’ai senti que chacun est un monde. »

— Ainsi, la misère et le mal apparaissent tout entiers dans une grande conscience qui ne pardonne rien. L’imprécation est finie. D’ailleurs, la vie est finie. C’est la dernière fois qu’ils reviennent à ces choses.

« La femme regarde en avant, avec la curiosité qu’elle eut en entrant dans la vie. Ève finit comme elle a commencé. Toute son âme subtile et vive de femme monte vers le secret comme une sorte de baiser aux lèvres de sa vie. Elle voudrait être heureuse, déjà… »