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douleur. On eût dit qu’elle venait d’apprendre la vérité funèbre comme une brusque mauvaise nouvelle, comme un deuil neuf.

— Je t’aime, mais j’aime le passé encore plus que toi. Je le voudrais, je le voudrais, je me consume pour lui. Le passé ! Oh ! vois-tu, je pleurerai, je souffrirai, tant que le passé ne sera plus.

« Mais on a beau l’aimer, il ne bougera plus… La mort partout : dans la laideur de ce qui a été trop longtemps beau, dans la saleté de ce qui était clair et pur, dans la punition des figures qu’on chérissait, dans l’oubli de ce qui est lointain, dans l’habitude, cet oubli de ce qui est proche. On entrevoit la vie : matin, printemps, espoir ; il n’y a que la mort qu’on ait vraiment le temps de voir… Depuis que le monde est monde, la mort est la seule chose qui soit palpable. C’est là-dessus qu’on marche et c’est vers cela qu’on va. A quoi sert d’être belle et d’avoir de la pudeur ; on marchera sur nous. Il y a dans la terre beaucoup plus de morts qu’il n’y a de vivants à sa surface ; et nous, nous avons beaucoup plus de mort que de vie. Ce ne sont pas seulement les autres êtres — nos êtres — voix toutes au complet jadis autour de nous et maintenant détruites ; c’est aussi, année par année, la plus grande partie de nous-mêmes. Et ce qui n’est pas encore mourra aussi. Presque tout est mort.