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des jours qui tombe sur nous goutte à goutte — emportèrent cette impression, comme la pluie, aux premiers jours d’automne, emporte les feuilles sur lesquelles elle a glissé. La vie monotone, dont la présence du P. Riculf chez ces dames de Ferjol avait coupé le flot stagnant, recommença. Leurs lèvres désapprirent son nom. Y pensèrent-elles sans en parler ?… Dieu seul le sait. Cette histoire, sans nom, est obscure… mais l’impression causée par cet homme qu’on n’oubliait plus quand on l’avait vu, devait être profonde — et elle était d’autant plus profonde qu’on ne pouvait s’expliquer pourquoi on ne l’oubliait pas !… Il avait été, ces quarante jours, froid et respectueux avec ces dames, et d’une correction dans ses rapports journaliers avec elles qui prouvait beaucoup de discernement et de tact. Mais il était resté naturellement et strictement fermé sur lui-même. Quels avaient été son passé ? sa vie ? son éducation ? sa naissance ? tous sujets que madame de Ferjol effleura, mais cessa d’effleurer, en vraie femme du monde, quand elle vit que l’homme était de marbre, et comme le marbre, glacé, impé-