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vaient tenir et monter de front ses cent marches. La chose avait été vue, disait-on, au temps de la guerre des Chemises blanches et de Jean Cavalier… C’est dans ce grandiose escalier, qui semblait n’avoir pas été bâti pour la maison, mais qui était peut-être tout ce qui restait de quelque château écroulé et que le malheur des temps et de la race qui aurait habité là n’avait pas pu relever tout entier dans sa primitive magnificence, que la petite Lasthénie, sans compagnes et sans les jeux qu’elle eût partagés avec elles, isolée de tout par le chagrin et l’âpre piété de sa mère, avait passé bien des longues heures de son enfance solitaire… La rêveuse naissante sentait-elle mieux dans le vide de cet immense escalier l’autre vide d’une existence que la tendresse de sa mère aurait dû combler, et, comme les âmes prédestinées au malheur, qui aiment à se faire mal à elles-mêmes, en attendant qu’il arrive, aimait-elle à mettre sur son cœur l’accablant espace de ce large escalier, par-dessus l’accablement écrasant de sa solitude ? Habituellement Madame de Ferjol, descendue de sa chambre et n’y remontant que le soir, pouvait