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isolement était bien plus profond que pour sa mère. Elle en souffrait vaguement, il est vrai, comme d’un malaise bien plus que comme d’une douleur, parce qu’en elle tout était encore vague, mais cela allait se préciser… Elle en avait toujours souffert plus ou moins depuis le berceau jusqu’à cette heure de la vie, mais la misère de la condition humaine, c’est de s’accoutumer à tout. Lasthénie s’était accoutumée à la tristesse de son enfance solitaire, comme à la tristesse de ce pays où elle était née et qui lui versait sur la tête sa pauvre goutte de lumière et lui bouchait les horizons avec les parois de ses montagnes, — comme elle s’était accoutumée à la triste solitude de la maison maternelle ; car madame de Ferjol, qui était riche et d’un temps où les classes qui allaient disparaître n’avaient pas cessé d’exister, voyait très peu de ce petit bourg où de société, il n’y avait vraiment personne pour une femme comme elle… Quand elle y était arrivée avec le baron de Ferjol, elle était dans l’ivresse d’un tel bonheur qu’elle n’en voulut pas sortir pour le monde. Elle aurait cru qu’on lui eût pris de son bonheur ou qu’on