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regard, gai et bleu, vous atteignait de dessous une paupière épaisse et un peu lourde qu’il clignait comme s’il se fût moqué de ce qu’il disait et qu’il vous eût associé à sa moquerie. Ce à quoi sa vanité tenait le plus dans toute sa personne, c’étaient ses dents, qu’il soignait comme jamais femme n’a soigné les perles de son écrin, et qu’il montrait sans rire, pour le plaisir silencieux de les montrer… Il était venu, à ce dîner du comte du Lude, sa canne haute sur l’épaule comme un fusil (ce qui était sa manière habituelle de porter sa canne, un jonc indien !), et quand il l’eut laissée dans un angle du corridor, il était entré dans le salon, tenant avec les deux mains son chapeau, comme un amoureux de l’ancien Opéra-Comique chez son bailli, et il avait salué l’assemblée avec une niaiserie de paysan, qui n’était peut-être pas sincère, car cet homme qui s’appelait Gilles, aimait parfois à jouer aux Gilles… Il connaissait depuis longtemps madame de Ferjol, devant laquelle il dînait, et dont il était trop léger pour comprendre la profondeur. Pour lui, tout ce qui passait sa portée, il le traitait sans façon et non sans