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bien vite épicier. Il l’était de cerveau, — d’un cerveau qui n’avait pas une idée quelconque à son service, ce qui expliquait sa belle santé, à plus de soixante ans, et quoiqu’il dît souvent, en fermant les yeux comme s’il se retirait en lui-même, les mains jointes sur son estomac, avec une expression indicible : « Je donne le bal à mes pensées ! » Quel bal ! et quelles danseuses ! Malgré cette vacuité cérébrale, il était fin comme un Normand, sous un drôle d’air niais qu’il savait prendre, sans doute pour plaisanter, car ce singulier homme, qui joignait le prénom de Gilles à son nom de Bataille, n’en était pas un. Il avait, pendant l’Empire, rendu beaucoup de petits services aux hobereaux de sa province, pour lesquels il s’était montré toujours respectueux, et qui lui achetaient ses cornichons par compatriotisme et par reconnaissance. Quelques-uns même d’entre eux lui remirent, parfois, des placets et des pétitions, parce qu’ils lui croyaient des relations avec le Palais, mais toutes ses relations étaient Moustache, le cocher, et Zoé, la négresse de Joséphine. La chute de l’Empire, dont il avait vécu, n’avait