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dence, qui se permet parfois ces plaisanteries, ayant prévu l’empereur Napoléon, avait trouvé spirituel d’appeler l’homme qui lui vendait son sucre et son café, Bataille. Voilà pour le nom ! Mais elle avait eu encore une autre fantaisie, la Providence, c’était d’avoir fait d’un épicier un des plus beaux hommes d’un temps où presque tous les hommes étaient si fièrement beaux, et que David et Géricault nous ont peints, pour l’humiliation de notre âge… On l’appelait parmi les cuisinières « le bel épicier du Carrousel ». Il avait la tournure de son nom. Sa prestance était si militaire que pendant l’Empire, quand il sortait du café de l’angle de la rue Saint-Nicaise où il avait passé la soirée à jouer au domino et qu’il avait mis sur sa tête le claque que tout le monde portait alors, et sur ses larges épaules son grand manteau, galonné d’or au collet, les sentinelles de l’arcade des Tuileries lui portaient les armes comme à un général, et il leur rendait le salut comme un général, avec un impayable sérieux et une emphase militaire qui faisaient le bonheur de ses amis. Pendant une minute il était vraiment général, mais il se retrouvait