Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Lude appelait spirituellement son dîner « la réunion des trois ordres », et, de fait, il y avait là du clergé, de la noblesse et du tiers. On y était très cordial et de très bonne humeur. Il est vrai que, dans cette petite ville du Saint-Sauveur d’alors, il y avait plus de bonhomie qu’à Valognes — ville voisine à quatre lieues de là — où, pour peu qu’on fût un peu noble, on se croyait un paladin de Charlemagne et où l’on vous aurait demandé vos lettres de noblesse, pour vous inviter à dîner !

Et ce que je vous conte là était si vrai qu’à ce dîner où les coudes n’avaient pas horreur de se toucher les uns les autres, il y avait justement entre la marquise de Limore, la plus foncée en aristocratie des femmes qui étaient là, et le marquis de Pont-l’Abbé, d’une noblesse aussi vieille que son pont, un convive, de gaillarde et superbe encolure, paysan d’origine très normande, mais qui s’était décrassé et qui était devenu un très authentique bourgeois de Paris. Il étalait alors son gilet de piqué blanc entre cette marquise et ce marquis, comme un écusson d’argent entre ses deux supports, dont l’un, à dextre, la