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mais ce qui la faisait le plus souffrir, ce n’était pas ce qu’elle en savait, c’était ce qu’elle n’en savait pas… Le saurait-elle jamais ? Elle ne le croyait plus. En attendant, elle achevait de vivre, désespérée, avec un front calme qui ne disait pas qu’elle le fût. Elle n’était plus qu’une ruine, mais c’était une ruine comme le Colisée. Elle en avait la grandeur et la majesté. « Dans le bout de table où elle se tenait au dîner du comte du Lude, involontairement on parlait moins haut et l’on riait moins fort qu’à l’autre bout », disait le vicomte de Kerkeville, qui aimait à rire et que la présence de cette grandiose vieille femme forçait d’être sérieux de respect. Ce jour-là, à ce repas auquel elle assistait comme elle assistait à la vie, avec indifférence, il y avait autour d’elle de l’entrain et de la sympathie, quoique la compagnie y fût terriblement mêlée. C’était l’image en raccourci de cette société telle que nous l’ont faite la Révolution et l’Empire, qui ont confondu tous les rangs, mais on n’y souffrait pas, ce jour-là, de cette dégoûtante salade politique et sociale qu’il est maintenant impossible aux gouvernements de tourner. Le comte