Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paru… Elle n’eût pas même reconnu la place. Le chemin avait repris sa noirceur d’ombre, entre ses deux haies éclairées par la lune et immobiles, — car il ne faisait pas de vent, cette nuit-là, chose inaccoutumée à ces endroits voisins de la mer… Dieu ne soufflait pas, disait-elle. L’air, sans haleine, était aux lutins qui sont des démons. Aussi, en proie à une terreur qui lui venait et qui lui envahissait toute l’âme, dans cette nuit sans souffle, où le clair de lune lui-même ne lui paraissait pas « comme un clair de lune ordinaire », elle se hâta et marcha plus vite, mais, en marchant, la lune qu’elle avait à sa gauche et sur le fil de l’horizon, lui semblait marcher du même pas qu’elle et lui faisait l’effet d’une tête de mort qui l’aurait obstinément accompagnée. Tout en marchant, elle en blêmissait. Ses dents claquaient. Et, quand, à une certaine bifurcation du chemin, la lune qu’elle avait eue à son coude, se trouva, par le fait de la courbure du chemin, derrière elle : « Je crus, — disait-elle bien longtemps après, quand ce souvenir glaçait sa pensée, — que cette tête de