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trât les suspicions et les obstacles auxquels il aurait été exposé plus tard. Ce voyage, quoique fait en poste, fut long et pénible. Lasthénie souffrit si horriblement des cahots de la chaise de poste qui la secouait et qui la brisait, sur ces routes qui n’étaient pas alors ce qu’elles sont devenues depuis, qu’on fut obligé, à l’humiliation des postillons, encore fringants en ce temps-là, de s’arrêter tous les soirs, à la couchée, dans les auberges, non pour relayer, mais pour ne repartir que le lendemain. « Nous marchons comme un corbillard », disaient avec mépris les postillons, et ils disaient plus vrai qu’ils ne croyaient : la voiture qu’ils menaient, renfermait presque une morte… C’était Lasthénie. Quand elle pâlissait et sursautait à tous les chocs de cette dure chaise de poste contre les pierres du chemin, elle était toujours sur le point de s’évanouir. Le Démon, qui est en embuscade dans les meilleures et les plus fortes âmes, traversait alors de l’éclair d’un désir sinistre l’âme de madame de Ferjol. « Si elle pouvait faire une fausse couche ! » pensait-elle ; mais la vertueuse