Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils ne les virent plus. Néel se retourna pour la voir encore, celle qui était sa vie ! Mais Sombreval, lui, ne se retourna pas. Il avait la tête baissée, la main droite pendante, comme morte, le long de sa cuisse. Son cheval le menait plus qu’il ne menait son cheval ; et il alla ainsi, tout silencieux, jusqu’au bas de la butte Saint-Jean. Néel, qui le suivait, respectait cette douleur muette et stoïque. Il avait peur de voir crouler à chaque instant et tomber sur le pommeau de sa selle cet homme bâti comme une tour de guerre. Mais au bas de la butte, l’homme, qui s’était repris tout entier dans Sombreval, releva la tête et la fit relever à son cheval. Il regarda Néel avec des yeux que la douceur semblait avoir enfoncés sous leurs arcades sourcilières, déjà si profondes :

— Eh bien ! voilà qui est fini ! dit-il. J’ai fait aussi, Néel, comme vous, mon sacrifice ! Vous, vous avez sacrifié votre vie pour être aimé d’elle, et si vous n’êtes pas mort, ce n’a pas été votre faute. Mais qui sait ? Peut-être vous aimera-t-elle, maintenant qu’elle n’aura plus à trembler pour l’âme de son père et qu’elle n’aura plus à expier ses crimes, tandis que moi, je ne la reverrai peut-être jamais, car je suis vieux et violent comme si j’étais jeune, violent jusqu’à la rupture de ce cœur qui doit vivre sans elle à présent… Ils vont me faire