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cer, il n’en approcherait donc jamais ses lèvres altérées ! Et cette pensée ne le faisait pas bondir, l’impétueux Néel ! mais l’abattait plutôt ! Il était épuisé de violences vaines. Il était au moment où l’homme le plus fort, l’amour le macère et le détrempe dans des tendresses qui énervent même le désespoir. Toujours muet et la regardant, il avait pris sur la chiffonnière rose de la jeune fille, qui brodait avec son dé d’ivoire, son autre dé, le dé d’argent, dont elle se servait quand il fallait traverser quelque tissu plus dur à percer que cette vaporeuse mousseline qu’elle fleurissait alors (car d’ordinaire elle cousait et ourlait elle-même, de ses mains si mollement effilées, les chemises de grosse toile qu’elle donnait à l’abbé Méautis pour les pauvres de la contrée), et sans qu’elle le vît, l’amoureux et l’insensé, comme nous le fûmes tous, au moins une fois en notre vie, emplissait ce dé de baisers furtifs et cherchait de ses lèvres, folles comme son cœur, l’intérieur, poli par le doigt qui l’avait souvent tiédi pendant de longues heures de travail… Il aurait voulu y reprendre les tiédeurs absentes. Mais il ne trouvait que l’ivresse, — une ivresse tout à la fois voluptueuse et cruelle, — dans cette coupe, faite du dé d’une femme, trop grande encore pour son bonheur !

— Je l’entends qui monte le perron, — fit-