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affaissés la fatigue qui suit les longues luttes…

« Je les désespère tous les deux, » pensait-elle. Et tout en brodant sur son devant d’autel la figure du Pélican, qui, pour ses petits, s’ouvre la poitrine, ce symbole de l’amour de Dieu pour les hommes et que l’Église aime à répéter sur ses ornements, elle songeait à ces deux êtres qui l’aimaient, seuls, dans l’univers, et elle était attendrie… Et elle se débattait, la pauvre colombe, dans le lacet de cette question horrible, posée à sa foi par sa pitié. « Je désole Néel, parce que je veux souffrir pour mon père ; et mon père, pour qui je veux souffrir, c’est par moi cependant qu’il souffre ! » et elle se perdait dans cette pensée…

Ils étaient donc retombés dans le silence, ces deux cœurs, tous les deux si pleins… Néel regardait Calixte avec ce regard extasié qui n’avait jamais assez d’elle, et Elle, baissant ses chastes cils sous les yeux brûlants du jeune homme, avait repris son ouvrage, ayant grand’peine à contenir l’attendrissement qui la surmontait… Néel, lui, ne pensait déjà plus qu’à sa chère Pâle, à sa chère Pâle idolâtrée, qui était là, à deux pas de lui dans l’espace, mais dans le cœur de laquelle il ne ferait point un pas, un seul pas de plus !

Ce visage de neige, placé si près du sien, et qui enflammait l’air pour lui au lieu de le gla-