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enveloppé dans un de ses tabliers de fil rayé, v’là de la besogne pour vous, père Brantôme ! Teignez-moi tout cela en noir ; et si vous aviez dans votre cuve une couleur plus désolée et plus sombre, ce serait celle-là que je voudrais : mais la seule cuve où il y ait plus noir que le noir, — ajouta-t-elle avec une ardeur sourcilleuse, — c’est le fond de nos cœurs !

Le père Brantôme, comme elle l’appelait, regardait de tous ses petits yeux cette exaltée qui ne faisait rien comme une autre. — Est-ce que vous avez quelqu’un de mort ?… lui dit-il. Mais il se mordit la langue pour se punir d’avoir dit une bêtise. La Malgaigne n’avait pas de famille, et dans un pays si profondément familial, c’était là un malheur qui avait sa honte. Cette étonnante Octogénaire avait toujours vécu isolée dans la vie, aux yeux des générations qui l’entouraient. Elle était de ceux-là qui n’ont pas d’origine connue, et dont on dit dans la contrée : « On les a trouvés sous un chou. »

— Vère ! — dit-elle en s’en allant, — je suis en deuil pour le reste de ma vie, — jusqu’à ce qu’ils jettent sur ma vieille tête le drap mortuaire qui doit nous couvrir tous !

Elle imposait tellement, cette grande Malgaigne, grande comme les superstitions du pays, que Brantôme, le teinturier, la laissa partir