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si elle eût été l’image de la Conscience vivante qui se fût révélée devant lui.

Il ne répondit pas. Étant ce qu’il était, pouvait-il dire à la Malgaigne que, quand les hommes comme lui, sans croyance religieuse, accomplissent un acte résolu et utile, si atroce que cet acte paraisse à la morale des autres hommes, ils n’éprouvent jamais de remords ?…

Pourtant après une pause :

— Il n’y aura dans mon cœur, dit-il, que la certitude de pouvoir prendre mon enfant dans mes bras, sans qu’elle ait peur de la poitrine de son père ! J’ai tué cette femme pour tuer sa langue, pour être bien sûr que l’infâme propos mourrait avec la bouche qui l’a prononcé !

— Mais en es-tu sûr, Jean ? dit la Malgaigne.

Il tressauta comme un sanglier blessé.

— Ah ! ma mère, s’écria-t-il, ne me cache rien ! Tu sais quelque chose… Parle ! parle ! que sais-tu ? La misérable que voilà morte n’aurait-elle été qu’un écho ?…

— Non ! fit la Malgaigne, je ne parlerai pas. Les enfants, d’ailleurs, se lèvent de leur berge. Ils vont tout à l’heure nous rejoindre, et il ne faut pas qu’ils voient le cadavre ! Retourne vers eux et entraîne-les au Quesnay. Moi, je vais rester là à prier ; puis j’irai chez le curé de Néhou, et je lui dirai que j’ai vu ici la Gamase morte. Il ne s’en étonnera pas. C’était