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j’avais été la fille d’un autre père, mais moi qui ai toujours porté sur mon cœur le crime du mien et sa honte, je ne pouvais aimer que comme un frère l’homme assez hardi pour m’aimer comme aime un époux. C’est ainsi que j’ai aimé votre fils, monsieur le vicomte. Je sais bien que, si j’avais été plus forte, j’aurais dû m’interdire aussi ce sentiment fraternel dont mon faible cœur n’a pu se défendre. Je ne l’ai pas pu, et c’est là ma faute ! Que Dieu me la pardonne ! mais il m’est bien difficile encore de m’en repentir aujourd’hui !

Elle s’arrêta de nouveau. Tous ils étaient touchés par la sincérité de cette âme qui faisait sa confession à haute voix.

— Je sais bien, continua-t-elle, que vous me pardonnerez cette faiblesse, vous le père de Néel ! Vous me pardonnerez d’avoir aimé votre fils comme un frère, de n’avoir pas pu me défendre de cette amitié que j’aurais dû, moi, la fille… d’un homme si coupable, interdire à mon pauvre cœur. Je n’ai pu résister à cela. Je n’avais que mon père à aimer. Ma vie était cerclée par le plus affreux des déserts, par la plus morne des solitudes.

Néel les a traversés pour moi. Il est venu à moi presque malgré lui, car dans les commencements il était comme les autres, il nous méprisait ! Et il s’est pris d’amour pour la fille