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du haut de sa croix, n’a-t-il pas légué sa divine Mère au disciple qui l’aimait le plus ?… moi, je vous lègue mon père. Vous ne pouvez pas refuser de prendre un tel legs !

— Oh ! votre père, — fit Néel, c’est presque le mien ! Et il l’aurait été tout à fait si vous l’aviez voulu, Calixte. Tant que j’aurai un souffle, ce sera pour votre père ! Mais ne me parlez pas de Bernardine…

Il s’arrêta, voyant le mal qu’il lui faisait.

— Ainsi, reprit-elle avec une douceur déchirante, je souffre et je vais mourir, mais je ne souffre pas assez encore, et vous allez empoisonner les derniers moments de ma vie. Écoutez, Néel : si vous n’épousez pas mademoiselle de Lieusaint, vous me ferez la plus grande peine que je puisse éprouver après celle qui m’a tuée, et je vous devrai un remords. En vous laissant vivre près de moi, j’aurai détruit le bonheur d’une jeune fille qui vous était fiancée et qui mourra du mal que je lui aurai fait. J’aurai flétri à tout jamais l’espoir de la vieillesse de son père et du vôtre.

Trois malédictions seront sur moi et sur ma mémoire. Eh bien ! je vous demande de m’ôter ce poids qui m’oppresse le cœur à l’instant suprême où le cœur va cesser de battre, et où mon âme doit paraître, pure de tout reproche, devant la justice de son Dieu ; et vous, mon