Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Puis les ténèbres commencèrent à tomber peu à peu et à filtrer dans les airs assombris, comme de l’encre qu’on verserait, goutte à goutte, dans un verre d’eau… Néel éperonna plus fort sa monture… Il était loin du bourg de S… et il voulait, avant de rentrer à Néhou, passer par le Quesnay, la revoir, la reine de ses rêves, sa désirée, celle-là qui lui mettait un si cruel ennui au cœur ! Il voulait lui raconter ce qu’il avait appris de son père… et mentir aussi pour qu’elle fût heureuse !! car il sentait bien que, s’il parlait, lui qui savait le fond de l’âme de Sombreval, il prendrait à sa charge la moitié de son imposture.

Jusque-là il avait pu se taire ; à présent, il ne le pouvait plus. Le mot de la Malgaigne à son premier retour au Quesnay, quand il avait conduit Sombreval à la Sangsurière, lui remontait à la pensée : « Mentirez-vous, monsieur Néel, vous qui êtes d’une race qui n’a jamais menti ? » Les mots persécuteurs, les mots acharnés qui nous tuent, on les voit mieux la nuit. Ils nous poursuivent mieux dans le noir de la nuit. Ils y brillent comme d’infernales pierreries, comme les étoiles de l’enfer. Les joues de Néel brûlaient de honte sous ce vent glacé, à la pensée du mensonge volontaire qu’il allait partager, mais il n’hésitait pas. Et c’était cela, bien plus que l’heure, bien plus que le mauvais