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ce degré d’agacement, de passion contrariée, de parti froid, d’égoïsme féroce, qui rend insensible à tout, à la générosité, à la justice et même à la caresse de la voix aimée !

— Calixte, répondit-il après un moment de silence, ne me parlez pas de Bernardine. Je ne l’aime plus… C’est vous qui l’avez chassée de mon âme. Vous ne voulez pas que je la haïsse ? Ne me la faites pas détester.

— Écoutez, Néel, — dit Calixte, si je mourais, moi, et si en mourant je vous demandais de faire cela pour moi, vous le feriez, n’est-ce pas ?… Eh bien, mon ami, je suis morte. Dans quelques mois, au plus un an, le cloître m’aura prise comme une tombe…

— Non, interrompit violemment Néel, — vous morte, je mourrais ! Vous carmélite, c’est comme morte encore ! La Malgaigne l’a dit, — poursuivit-il exalté, — nous serons mariés dans la mort…

Elle se tut au ton qu’il avait pris. Elle en fut frappée. Un peu de rose en passa sur ses joues, quelque chose de moite dans ses yeux… Pour la première fois, elle sentait la résistance, la fermeture, l’endurcissement qui se levait contre elle dans cette âme dont elle était la souveraine, obéie jusque-là toujours ! Elle trouvait là un Néel qu’elle ne connaissait pas, un Néel sombre, contracté, colère, dont l’ac-