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noire et violette, dont elle avait ôté la plume, — trop triomphante (disait-elle) pour un front aussi triste que le sien. « Sois veuve comme moi ! avait-elle ajouté, l’ôtant de sa toque, cette pauvre plume. — Tu as bien dansé sur ma tête. Tu n’y danseras plus ! » Appuyée sur le bras de son père, les deux mains renouées sur ce bras, elle aurait ressemblé à la fille d’un chef de Clan, si elle avait été heureuse… Mais, contradiction de plus avec l’expression malade de sa physionomie et la langueur de sa pose, ce costume de la Force armée paraissait davantage une dérision de son destin !

Calixte, qui l’avait vue si fraîche, magnifique gerbe de fleurs humaines, et qui la retrouvait comme un bouquet de roses qu’une roue de charrette aurait écrasé, se sentit dans le cœur la pitié que ne sentait pas Néel. Rien n’est plus triste que la mélancolie des êtres qui ont été créés pour la joie, l’intensité des sensations et tous les bonheurs de la force.

C’est tout simple, en effet, que la mélancolie chez les êtres délicats qui portent le poids de leur vie et même de leur pensée avec peine ! mais, chez les forts, de la tristesse ! Mais des lions avec des abattements d’antilopes, voilà qui est navrant et horrible comme un désordre dans la création.

Calixte, l’éprouva en regardant Bernardine.