Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guer l’une de l’autre dans le sien, rempli de toutes les deux.

En ces derniers beaux jours, beaux comme tout ce que l’on va perdre, — la nature, qui convie à toutes les vendanges, présente aux lèvres altérées la grappe dorée, soit par le soleil, soit par le désir. Ce soir-là, il semblait qu’elle l’offrît à Néel… C’était un de ces jours marqués profondément du caractère de l’automne, où tout, dans les choses et dans les aspects, paraît mûr, gonflé, juteux, prêt à couler sous on ne sait quel pressoir invisible dont on sent le poids sur les cœurs. Les airs détiédis, mais non froids encore, étaient saturés de parfums, à travers lesquels dominait l’arôme acidulé et pénétrant des pommes gaulées, relevées, en tas coniques, sous les pommiers, et que les premières pluies avaient meurtries. Le ciel sans nuages, tout uni, était du gris le plus reposé et le plus tendre. On aurait dit une coupole immense faite d’une seule perle, à travers laquelle le jour tamisé fût tombé plus doux.

De la place où Néel et Calixte se trouvaient, on voyait la campagne s’étendre et fuir au loin, rouge de ses sarrasins coupés qui lui donnent cette belle nuance de laque carminée, en harmonie avec la feuille rousse de ses chênes, les branches pourpres de ses tilleuls défeuillés et