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ses pieds, mais sans cesse, à chaque minute, et cela lui semblait bien plus douloureux !

Pour subir un pareil empire, il faut le dévouement d’un premier amour, et pour n’en pas périr, les ressources qu’à dix-huit ans on porte en soi. Plus tard, ce serait impossible. Quand la passion a goûté une fois à ce qu’elle désire, c’est comme le tigre qui a mis sa langue au sang : il faut qu’il en boive ! Il faut qu’il en fasse couler des torrents, à travers son vaste gosier, allumé comme un four.

Heureusement pour Calixte, Néel était à ce moment unique de la jeunesse où l’amour, que la sensation n’a pas encore dégradé, a la grandeur des sentiments absolus et des héroïques obéissances. Il ne se plaignait même plus. Il se rappelait que par une de ces violences il avait cru tuer Calixte, et qu’il l’avait précipitée dans sa dernière crise. Pour cette raison il étouffait son cœur. Il étouffait ses sens dans des silences qui le dévoraient.

On voyait bien qu’il était dévoré… La passion inassouvie qui creuse l’œil comme la faim et y allume sa flamme avide commençait de dessécher son beau visage. Le feu couvait sous la peau amincie des pommettes. La douleur de n’être pas aimé qui nous fait nous haïr nous-mêmes, cette douleur dont la honte est le fond, attachait à ce front impérieux, taillé pour do-