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idolâtres, c’était Sombreval depuis qu’il les avait guéris.

À dater du moment qu’il avait soigné et soulagé ces deux horribles rebuts du monde, Sombreval avait pris, à leurs yeux, les proportions d’un être surnaturel. Il était pour eux plus puissant et plus redoutable qu’aucun de ces jongleurs qui règnent si despotiquement sur l’imagination fanatisée de leur race… Et comme ils croyaient que la vie lui obéissait, ces esclaves jusqu’à l’intelligence, qui n’avaient dans leur crâne étroit que des notions d’esclaves, s’imaginaient aussi que, le maître parti, la vie devait profiter de son absence pour se révolter.

Néel éperdu leur demanda ce qu’ils avaient coutume de faire quand ces crises surprenaient Calixte et fondaient sur elle, — mais ces brutes lui dirent qu’elles ne faisaient rien et que le maître de la vie touchait seul à l’enfant morte, quand il fallait la ressusciter… Idée nègre, qui n’était pas plus bête qu’une autre, après tout, car la vie suspendue est-elle vraiment la vie ? Ces deux noirs croyaient que Calixte mourait chaque fois qu’elle tombait évanouie et qu’elle ressuscitait par la magie de Sombreval. Ils n’apprirent donc à Néel que ce qu’ils savaient, c’est que Calixte, une fois couchée et étendue comme elle était là, restait indéfiniment dans cette immobilité, glacée et