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fille qui mourait, en lui souriant, car elle ne souffrait plus : le terrible travail du feu sur la colonne vertébrale avait consumé jusqu’au siège de la douleur. Du coup la malheureuse femme devint folle, mais d’une folie aussi déchirante que son malheur. Sa vie ne fut plus qu’une idée et qu’un geste. Elle tenait perpétuellement le bas de sa robe ou de son tablier contre sa poitrine dévastée avec une crispation pleine d’épouvante ; et quand elle l’avait froissé et macéré en l’étreignant ainsi contre elle, elle l’étendait sur ses genoux et disait horriblement : « Oh ! on pouvait l’éteindre ! » et fondait en pleurs… Excepté cette parole et cette navrante pantomime, répétée automatiquement vingt fois par jour, elle ne parlait ni ne bougeait plus.

Comme tous les fous tristes, elle restait constamment à la même place, assise par terre ou sur ses talons, s’usant la tempe contre le mur où l’on avait été obligé de clouer un bout de matelas pour qu’elle ne se brisât pas la tête. Dévorée par une fièvre interne qui la maigrissait, quand elle mangeait, elle ne prenait rien que de la main de son fils. « Il la changeait même de tout, comme un enfant » , disait Manette Le Quertier, — la servante du curé, une bonne fille, mais qui n’aurait pas, pour tout l’argent qu’il y avait à Néhou, tou-