Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de monceaux d’enfants à ramasser dans les boues d’une grande ville, ni de femmes de la cour à qui il pût dire : « Ils seront tous morts demain, si vous les délaissez. » Dieu, qui éprouve les cœurs qu’il aime, lui avait donné une âme héroïque inutile et condamnée aux plus humbles vertus.

Poète deux fois, réduit deux fois aux proses de la vie ! Après avoir quêté pour les pauvres de Monroc et de Néhou dans les châteaux voisins où il n’avait à essuyer aucun refus ; après avoir mis en secret les deux tiers de sa cure dans le tronc de son église et donné sa dernière chemise aux malades qu’il administrait, comme saint Martin donnait son manteau, il avait épuisé tout ce qu’il pouvait faire de bien dans les médiocres conditions où la Providence l’avait placé.

Le poids de l’immense charité qu’il aurait voulu étendre sur le monde lui restait donc sur le cœur et le lui oppressait.

De même qu’il avait rêvé les dévouements des Vincent de Paul et des François-Xavier, il avait aussi rêvé la sublimité du martyre ; et, quoiqu’il en eût un terrible à supporter chaque jour dans sa propre maison, — une mère folle qu’il n’avait jamais voulu abandonner, — il se trouvait petit de toutes les façons devant Dieu par la douleur et par les œuvres.