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du déchu qui, dans l’abîme, a touché le fond, — c’est tout simple. Vous croyez à Dieu. Vous avez l’âme jeune, mais vous vieillirez. Vous deviendrez un homme. La foi que vous avez, je l’ai eue… et vous la perdrez. Ce n’est pas toujours nous, voyez-vous, qui tuons l’idée de Dieu dans nos âmes. Elle y tombe d’elle-même, comme les choses tombent en nous, hors de nous, partout, émiettées, dissoutes, anéanties !

Moi qui vous parle, monsieur Néel, c’est au pied de l’autel, c’est à l’autel même que le Doute et l’Incrédulité se sont dressés devant moi, — obstinément, — pendant des années, comme des Répondants moqueurs et terribles qui insultaient tout bas aux paroles que je prononçais tout haut, aux signes de mes mains consacrées qui accomplissaient le mystère… J’ai longtemps prié Dieu de me délivrer de ces obsessions… Il ne l’a pas voulu ; il ne le pouvait pas ! Je l’ai longtemps prié, s’il était, de me délivrer de ces tentations d’impiété que j’imputais à l’Esprit du Mal, et qui étaient, au contraire, les premières évidences de l’esprit de l’homme qui s’éveillait, qui se mettait debout en moi !

L’homme ne s’avoue dupe que bien tard… Oui, j’ai longtemps demandé, dans l’horreur et les larmes, à ce Dieu qui se voilait pour moi, d’empêcher l’impiété de monter, en sa présence,