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joyeux compagnon, à Berlin, de ce Tilly si fameux par son esprit et par ses aventures, avait mené la vie de toute sa génération, et, s’il l’avait un jour tout à coup interrompue, c’est qu’il s’était pris d’une passion qui le rendit sage pour la belle Polonaise qu’il avait épousée à Dresde, ne pouvant faire pis. Marié et fou de sa femme, il lui était resté fidèle sans aucun mérite, car elle était un astre de beauté, et le centre des astres est (à ce qu’il paraît) de la flamme : mais, s’il avait avec l’amour, l’âge et le malheur, revêtu des mœurs plus graves, il n’en avait pas moins gardé, en fait de femmes, ces opinions légères qui sont les opinions françaises depuis que la France a cessé d’être la chevaleresque et catholique nation d’autrefois.

Il ne l’eût pas dit à son fils, avec lequel il conservait la dignité paternelle, mais il comprenait que Néel allât au Quesnay conter fleurette à la petite fille qui l’habitait. Volontiers il en aurait ristonné dans sa barbe grise, s’enveloppant dans l’indulgent et vieux dicton cotentinais, comme dans son vitchoura des dimanches : « J’ai lâché mon coq : gardez vos poules ! »

Seulement, s’il se souciait infiniment peu de l’âme d’une pauvre enfant que la grande beauté de Néel pouvait troubler, il savait par sa propre expérience l’empire souverain qu’une jeune