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chevet d’une tombe. Le corps du condamné semblait avoir moulé cet amas de poussière qui, dans la nuit, faisait trébucher le passant. Les chevaux y bronchaient ou s’y abattaient.

Quand le soleil s’était noyé sous Jersey — comme disait la Malgaigne — c’est-à-dire quand le jour était couché, très peu de gens se souciaient de traverser cette place, dont le nom devait subsister encore, lorsque le souvenir du crime et du supplice ne serait plus.

Néel, le rôdeur, qui connaissait tous les coins et recoins du pays, connaissait la place au Rompu. Il n’en savait pas davantage. Il n’y avait jamais butté, mais, comme les autres, il n’aimait pas ce lieu de funèbre et sanglante mémoire, et toujours il donnait de l’éperon à son cheval pour passer plus vite, quand il y passait.

— Oui — fit-il — c’est la place au Rompu. Mais seriez-vous d’âge, la Malgaigne, à avoir connu le malheureux qui repose là, à ce qu’ils disent, depuis si longtemps ?

— Ou qui n’y repose pas, — interrompit-elle avec son expression tout à la fois positive et mystérieuse. Vère ! monsieur Néel, je suis bien chenue. Je suis une ancienne du pays. J’ai connu le père de votre père, le grand vicomte Jacques de Néhou, qui avait épousé la dernière des Saint-Scudemor, en premières no-