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qui se dressait comme un jonc brisé, perchoir de héron ou de cigogne, à l’orée des tristes marais de Néhou.

Toute son enfance s’était écoulée entre des murailles qui n’avaient plus même les boiseries de chêne dont elles avaient été revêtues et qu’on en avait arrachées pour en briser les armoiries. Rien n’était plus fièrement pauvre que cette grelottante tourelle de Néhou, au bord de sa rivière limoneuse ; et les autres châteaux des environs, à cette époque, n’étaient guère plus riches. Élevé dans un milieu de ruines, ouvrage de la Révolution, Néel ne se doutait pas des ressources infinies qu’un art qu’il ignorait pouvait tirer de la richesse. Quand il eut monté le vieux perron raffermi, il ne reconnut plus le Quesnay. Il y avait joué au volant avec les demoiselles (comme on disait des filles de l’ancien seigneur), dans un grand salon dont il se rappelait l’immense tapisserie, représentant les femmes de Darius aux pieds d’Éphestion, qu’elles prennent pour Alexandre.

Il n’avait jamais oublié comment le vent d’ouest agitait cette solennelle tapisserie, lorsque ce vent mélancolique se levait, le soir, sur la longueur assombrie de l’étang. Cette tapisserie avait été remplacée par une tenture de soie des Indes, d’un ton vert-d’eau inappréciablement doux. D’énormes camées, du plus grand