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bien longtemps, appelée « la ville de mes spectres » pour justifier un amour incompréhensible au regard de mes amis qui me reprochent de l’habiter et qui s’en étonnent… C’est, en effet, les spectres de mon passé évanoui, qui m’attachent si étrangement à elle. Sans ses revenants, je n’y reviendrais pas !

Lorsque j’y marche, par ses rues désertes aux pavés clairs, ce n’est jamais qu’accompagné de ces fantômes, qui n’ont pas, ceux-là, d’heure pour nous hanter et qui ne reviennent pas que dans la nuit, tirer nos rideaux sur leurs tringles et mettre sur nos bouches ce qui fut leur bouche, et où l’haleine qui nous enivra ne se retrouve plus !… Pour moi, fatalement obsédants, ces spectres reviennent, même de jour, même jusqu’en ces rues dont la clarté ne les chasse pas, et ils s’y dressent à côté de moi par les plus étincelantes journées comme s’ils étaient dans la