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Partout où nous allons, comme un sinistre page
Il s’attache à nos pas, il se tient à nos flancs,
Et l’horrible poison que d’abord il ménage
Bientôt il le verse à torrents !

Il le verse et l’on boit… Dans les yeux qu’on adore
Du poison répandu naissent hélas ! des pleurs ;
Ils coulent ; on les boit ; ― mais lui, lui, verse encore,
Et le poison cruel a filtré dans nos cœurs !
Il verse ; ― et le baiser se glace aux lèvres pures ;
Il verse ; ― et tout périt des plus fraîches amours !
Mais comme indifférent à tant de flétrissures,
L’Empoisonneur verse toujours !…

Ne l’as-tu jamais vu, ce pâle et noir Génie
Qui naît avec l’amour pour le faire mourir ?
N’as-tu jamais senti se glisser dans ta vie
Le poison qui, plus tard, doit si bien la flétrir ?
N’as-tu jamais senti sur tes lèvres avides
De l’Échanson de mort le philtre affreux passer ?…
Car le jour n’est pas loin peut-être où, les mains vides,
Il n’aura plus rien à verser !