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Restes-y ; mon amour fut l’ombre d’un nuage
Sur l’étang ; ― le soleil y reviendra frémir !
Tu ne garderas pas trace de mon passage…
Voilà pourquoi je veux partir !

Ô coupe de vermeil où j’ai puisé la vie,
Je ne t’emporte pas dans mon sein tout glacé ;
Reste derrière moi, reste à demi remplie,
Offrande à l’avenir et débris du passé !
Je peux boire à présent, sans que trop il m’en coûte,
Un breuvage moins doux et moins prompt à tarir,
Dans le creux de mes mains, aux fossés de la route…
Voilà pourquoi je veux partir !

Mais si c’est t’offenser que partir, oh ! pardonne ;
Quoique de ces douleurs dont tu n’eus point ta part
Rien, hélas ! (et pourtant autrefois tu fus bonne !)
Ne saurait racheter le crime du départ.
Pourquoi t’associerais-je à mon triste voyage ?
Lorsque tu le pourrais, oserais-tu venir ?
Plus sombre que Lara, je n’aurai point de page…
Voilà pourquoi je veux partir !