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la philosophie, à la politique, à la législation, à la littérature, aux arts, etc., et qui, par-dessus le grand romancier et le grand écrivain, établissait le grand moraliste et le penseur le plus original et le plus fécond ! Il est, je le répète, très déplorable que la mort de Dutacq, l’ami particulier de Balzac et qui avait été l’inspirateur de ce travail, en ait fait abandonner l’idée ; car on aurait un livre prodigieux, qui, pour la valeur et le nombre exorbitant des pensées prises dans l’œuvre d’un seul homme, ne pourrait se recommencer avec les pensées d’aucun homme de génie des temps modernes ou du passé. J’en porterais bien le défi !

Tel fut Balzac ; tel il est, cet homme que j’ai osé, quoiqu’il vécût hier et qu’il n’ait pas les trois cents ans de gloire de Shakespeare, appeler notre Shakespeare à nous, en regardant le Shakespeare anglais ! J’ai eu beau chercher, je ne lui ai trouvé qu’une infériorité vis-à-vis du colosse anglais, et je la dirai. Tout doit toujours être dit : — Il ne fut pas poète, du moins en vers. Certes ! il avait autant que personne de la poésie plein le cerveau, mais il n’était pas poète dans le sens vrai de ce mot qu’il ne faut pas élargir, car il contient dans son sens rigoureux la plus grande et la plus rare beauté de l’esprit de l’homme. Pour être poète, il faut l’être en vers. Les exécrables qui tachent la Comédie humaine (les Marguerites de Lucien de Rubempré) ne sont pas de Balzac. On les a dits de